LUC AUBORT

 

Choses

 

Federica Martini

 

Les Choses appartiennent à une série de fragments situés au croisement entre image et objet-construction. À partir de matériaux trouvés, elles reproduisent la boucle narrative d’une collection en cours de composition. Leur ensemble se configure comme un arrangement de formes survivantes, basées sur une abstraction organique. Dans les Choses, l’abstraction vient avant la compréhension. Elle se fait par la reconnaissance d’une forme de laquelle on s’approche. Chaque Chose est un « objet transitionnel », qui porte au suivant, comme un modèle constamment remis en jeu par la progression d’actes de référence et de dessin.

En 1607, le peintre Federico Zuccari définit le « dessin intérieur » comme « un concept formé dans notre esprit pour pouvoir connaître toute chose, et ouvrer extérieurement suivant la chose comprise ». Ainsi, il imagine le dessin en tant que synonyme de l’idée d’« intention » en philosophie ou de « modèle » en théologie. Par rapport à la peinture, les Choses assument une fonction similaire de modèle ou d’intention. Elles se présentent comme des croquis tridimensionnels.

Avec le passage de la matérialité de l’objet aux lignes nettes de la composition picturale, les Choses deviennent fuyantes, leurs références se font incertaines. En les recadrant sur une échelle augmentée, la peinture traduit la taille intime des objets dans une surface où la forme est définie par la juxtaposition des couleurs.

La couleur modifie les Choses, elle en cache les matériaux et souligne l’ambiguité entre le statut sculptural et pictural de l’objet. Ainsi, accrochées au mur, les veines du bois de Chose p. 37 se détachent tel un décor architectural, sans pour autant opérer, d’une façon définitive, ni comme bas-relief ni comme peinture.

La couche d’aluminium redessine les formes, reformule la transparence et la légèreté de la couleur dans la matérialité opaque et solide du bois. Selon la position du regardeur, Chose p. 31 apparaît comme un médaillon soustrait à une architecture précédente ou, posée sur un socle, comme la maquette d’une route de montagne. Ce double regard dérive du glissement de la forme originaire du bois, transformée par des gestes de découpe et dessin.

Dans les Choses, il ne s’agit pas de multiplier les fonctions d’un objet, mais de multiplier les points de vue sur les qualités intrinsèques des matériaux, tels qu’ils sont trouvés, par le biais de la manipulation que leur impose l’artiste.

Certaines créent des effets visuels illusoires. Ainsi, l’ensemble de sillons et carrés peints dans les Choses p. 22 et p. 2 peut être perçu comme un masque. Les motifs, les textures et les couleurs des matériaux sont parfois encadrés par des dispositifs et structures. Des corniches abritent des petits éléments en bois. Tels des reliquaires, elles exposent des fragments, différentes formes géométriques et elles présentent, en même temps, une unité de sculpture et décor, détail et vision d’ensemble.

Les Choses sont des « pensées qui deviennent formes », selon la définition de Max Bill. Par le montage d’éléments, de modifications successives, elles constituent une « corniche conceptuelle » d’intentions et de matières. La forme spéculaire de la Chose p. 24 se retrouve condensée dans la structure à miroir des deux morceaux de toile et bois juxtaposés dans la Chose p. 29. Le lacet qui lie le cercle en bois à la miniature de totem de la Chose p. 38, unit dans la Chose p. 32, les fragments d’un assemblage. La gamme chromatique qui souligne

la texture du bois dans la Chose p. 36, se fait décor dans la Chose p. 39.

L’agencement de plusieurs Choses souligne leur fonctionnement par combinaison et répétition. La dimension d’inventaire et composition accidentelle, la croissance par filiation et les arborescences formelles qui renvoient d’un objet à l’autre, se concrétisent ici dans une image. Achronologiques par leur système de résonances et renvois formels, les Choses témoignent, néanmoins, d’un rythme de déploiement dans l’espace et d’un temps de construction matérielle et de pensée. La production de chaque objet s’enchaîne, dans l’atelier, selon un processus régulier et potentiellement ouvert.

 

 

Choses (Things)

 

Federica Martini

 

Choses belong to a series of fragments set at the point where image and object-construction meet. Made from found materials, they reproduce the narrative loop of a collection during the composition process. The set is configured as an arrangement of surviving forms based on an organic kind of abstraction. In Choses, abstraction comes before understanding. It is done through recognition of a form as we approach it. Each Thing is a ‘transitional object’ that takes you to the next one, like a model constantly brought back into play through the progression of acts of reference and drawing.

In 1607, the painter Federico Zuccari defined ‘inner drawing’ as ‘a concept formed in our mind to be able to know all things, and work on the outside according to the thing understood’. Thus, he imagines the drawing as a synonym of the  idea of ‘intention’ in philosophy or of the ‘model’ in theology. In relation to painting, Choses take on a similar function of model or intention. They are presented as three-dimensional sketches.

With the passage from the materiality of the object to the clear lines of the pictorial composition, the Choses become elusive, their references uncertain. By reframing them on a larger scale, painting conveys the intimate size of things in a surface where the form is defined by the juxtaposition of colours. Colour modifies the Choses, it hides the media and highlights the ambiguity between the object’s status as a sculpture and as a picture. Thus, hanging on the wall, the veins of the wood of Chose p. 37 stand out like some architectural scenery, but without working definitively as either a low-relief or as a painting. The layer of aluminium redraws the forms, reformulates the transparency and lightness of the colour in the solid, opaque materiality of the wood. Depending on the beholder’s position, Chose p. 31 looks like a medallion taken from an earlier architecture or, placed on a base, like the scale model of a mountain road. This alternating view comes from the shifting of the wood’s original shape transformed by the act of cutting and drawing.

In Choses, the idea is not to multiply a thing’s functions but to multiply the viewpoints over the intrinsic qualities of the media as found, through the manipulation that the artist imposes on them. Some create visual illusion effects. Thus, the set of painted squares and grooves in Chose p. 22 and p. 2 may be seen as a mask. The motifs, textures and colours of the media are sometimes framed by devices and structures. Small wooden elements are housed in cornices like reliquaries which display fragments, various geometrical shapes while also presenting a decorative sculptural unit, a detail and an overall view.

Choses, according to Max Bill’s definition, are ‘thoughts that become shapes’. Through the montage of elements, and successive modifications, they form a ‘conceptual cornice’ of intentions and media. The specular form of Chose p. 24 is condensed in the mirror structure of the two pieces of canvas and woodjuxtaposed in Chose p. 29. The lace tieing the wooden hoop to the miniature totem in Chose p. 38 unites the fragments of an assembly in Chose p. 32. The chromatic scale highlighting the texture of the wood in Chose p. 36 becomes the

decor in Chose p. 39.

The arrangement of several Choses underlines how they function through combination and repetition. The dimension of the inventory and serendipitous composition, growth by filiation and formal arborescences referring from one object to another here take concrete form in an image. Achronological through their system of resonances and formal cross-references, Choses nonetheless evidence a rhythm of deployment in space and a time of material construction and thought. The production of each thing one after the other in the studio follows a steady and potentially open-ended process.