LUC AUBORT

 

Des choses et d'autres

 

Claude-Hubert Tatot, 2011

 

Luc Aubort fait bien les choses et avec peu, essentiellement quelques bouts de bois trouvés, des chutes de chambres à air et des coupons de toiles de lin. La surface des choses est laissée brute par endroits et peinte à d’autres. Les motifs simples sont réalisés simplement. Grattés, brûlés, percés, troués, ils s’ajoutent aux textures naturelles des supports: veines et nœuds du bois, tissage plus ou moins grossier du lin. L’assemblage des différentes parties est rudimentaire. Clous, agrafes, ficelles, ligatures et tressages sont apparents. Les bords sont nets, tailladés, brûlés ou effilés. (….) Les choses ne sont ni tout à fait des peintures ni des sculptures, elles sont ce qu’elles sont: des lignes, des formes et des couleurs en un certain ordre assemblées. Ces sculptures plus dessinées et colorées que modelées sont des sculptures de peintre comme celles de Gauguin, avec qui Luc Aubort partage un goût pour le primitivisme, la couleur et le décoratif.

 

La guirlande, faite de triangles découpés dans de la chambre à air accrochés à une corde à nœud, hérissée ça et là d’attaches en plastique, a la grâce d’un boa rehaussé de plumes de coq et la simplicité d’une ribambelle de fanions façon fête foraines. Récupération et matériaux pauvres font penser aux avant-gardes des années 70. Par analogie et ressemblance approximative Luc Aubort fait encore écho à quelques classiques de la sculpture contemporaine. Les assemblages abstraits évoquent ceux de Schwitters. Une planche aux veines gravées et colorées de rouge et de noir, poncée et adossée au mur, se retrouve dans la position d’un Mc Cracken. Des formes découpées dans du caoutchouc renvoient aux premières sculptures molles et tout particulièrement à l’Underwood de Duchamp. Cette résonance assourdie à l’art héroïque dans une version modeste et bricolée n’est qu’une vision possible des choses. Ces choses faites avec les moyens du bord, ces fragments récupérés et embellis s’apparentent aussi à d’anciens objets de culte. Volontairement raffinées et élégantes, polychromes, rehaussées d’or et d’argent, ces choses de taille modeste et au caractère ornemental affirmé s’approchent du bibelot, à moins qu’à l’inverse elles ne soient les maquettes de reliefs monumentaux. Accrochées ou adossées au mur, faisant corps avec une étagère, posées au sol ou suspendues, ces choses polysémiques valent pour elles-mêmes autant qu’elles se combinent et se répondent,  formant ainsi des ensembles variables.

 

Les choses sont à la sculpture ce que les coupons sont à la peinture. Ce titre générique indique clairement qu’à l’origine, ces petits bouts de toile sont des chutes récupérées pour être peintes. Abstraits et géométriques, peints au scotch, les coupons sont réalisés avec la même rigueur que les grandes toiles abstraites de Luc Aubort. De petite taille, de formes variées, leurs bords frangés en font la fantaisie. L’un d’eux, une croix sur laquelle une ligne noire et l’autre grise séparent un carré rouge et un autre blanc, rejoue une composition post-constructiviste dont les contours échevelés viennent contrecarrer le sérieux. Une cible aux cercles acier, or, rose et aluminium, bordée d’un cordon rouge, s’inscrit dans un carré accroché par une de ses pointes d’où retombent deux longues mèches de fil. Il y a quelque chose de cow-boy et d’indien dans ces franges, de Robin des Bois autant que de Jasper Johns dans cette cible.

 

Aux choses et aux coupons s’ajoutent les drapeaux, grandes toiles libres couvertes de couleurs ou de motifs. Ces peintures sans châssis sont parfois pliées. Suspendues, elles sont peintes recto-verso et demandent au spectateur d'en faire le tour. Les quatre drapeaux: orange, vert, blanc et noir, suspendus à intervalles réguliers, tombent comme des couperets et forment une suite comme on le dit des tapisseries. Le bord inférieur détissé, laissant pendre le fil de trame, forme un biseau souligné, comme le bord supérieur, d’un liseré peint d'un acier. Oriflammes ou tentures, ces drapeaux-là font surtout référence aux monochromes sans en être. Leurs couleurs manquent de franchise: si le noir est profond, l’orangé plus teint que peint n’est pas uniforme, le vert est rabattu et le blanc cassé pour gagner en finesse. Ni radicales et minimales, ni uniquement décoratives, ces peintures se placent dans un entre-deux et renvoient à des références contradictoires – Support-Surface, la tapisserie et le monochrome, les arts appliqués, et la peinture pure. Certains drapeaux sont peints de motifs repris de tatouages océaniques semblables à ceux en vogue dans les décors des années 60 et 70.

 

Point, cercle, rond, triangle, carré, étoile et croix se retrouvent dans les choses, les drapeaux et les peintures. Ces motifs simples sont multipliés pour former des lignes, des poids, des damiers. Ce vocabulaire ancestral, peint à même le corps des membres des tribus les plus archaïques, gravé sur les outils préhistoriques, tissé par les squaws ou ornant les poteries bretonnes charrie tout un imaginaire de documentaire d’encyclopédie pour la jeunesse. Il renvoie aux arts premiers et aux traditions populaires. Ce goût pour le primitivisme qui, au tournant du XIXe siècle a radicalement renouvelé les formes de l’art occidental, est aussi contemporain de l’invention du collage par Picasso. Le travail de Luc Aubort est aussi informé que redevable de toutes ces traditions. Amateur d’ornement, en décadentiste post moderne il associe la rigueur d’une peinture abstraite aux bords nets à l’ébouriffé et au déchiqueté des supports. Il mixe les genres, trouve son inspiration dans l’histoire du grand Art moderne, celle plus modeste des pratiques vernaculaires ou plus chatoyantes des arts décoratifs. Luc Aubort récupère des matériaux, puise dans l’univers des formes et des arts de quoi assembler, déconstruire et recomposer un art de la réminiscence.